Berger des hauts plateaux, tu accompagnes tes pas de ce précieux compagnon. Il ne te devance pas, il donne juste l’appui et la solidité dont tu as besoin. Silhouette apparaissant et disparaissant au gré des traversées de la forêt ou de la lande, un rocher te cache à la vue. La lumière crue de ce début d’après midi, te trouve à l’arrêt, les mains nouées autour de ton bâton, le regard perdu vers l’horizon.
Pèlerin de saint jacques, la fatigue d’être soi, t’as envoyé sur le chemin. Tu savais qu’il serait du voyage. Malgré ta foi, le miracle n’est pas venu. Rude est la route, longue, malgré les rencontres qui soignent les bleus de l’âme. Douleur du cœur, douleur du corps, la traversée de ce bout de terre, ne te laisse guère de répit. Tu te lèves, prend appui sur ton bâton de pèlerin, tu l’as bien choisi, tu le voulais léger, noueux et lisse à la fois. Il fait parti de ton voyage, rythme ta marche, tu sais que tu ne peux faire sans lui.
Le père l’avait choisi avec précision. Au cours de ces longues marches dans les chemins, son regard cherchait celui qui serait l’élu. Il ne croyait pas au hasard. La vie ne lui avait pas appris ce sentiment. Un matin, enfin, il l’a vu. Il croyait à la rencontre, de celle que l’on ne raconte pas. La fille l’a vu descendre plus vite que d’habitude. Il a tourné au coin de la maison. Le banc flanqué là depuis des générations, l’attendait. Il s’est assis. Le couteau dans la poche a fait son œuvre. Sculptée, la canne est devenue celle du père, que l’on ne touchait pas.
Un jour, la maladie est venue. Elle l’a prise par surprise. L’épuisement est arrivé avec les traitements. Elle n’a pas désarmé, elle a fait corps avec lui. Elle le voyait appuyé au coin de la maison. Elle s’approchait, et ses mains lui disaient « j’ai besoin de toi ». Elle tremblait, son corps pesait, il l’a accompagné tous les jours du temps de l’incertitude. Il a tenu, elle a tenu. Ensemble, ils ont réussi. Elle l’appelait son bâton de douleur.
